La parabole du joueur de tennis en matière de prescription
12 mai 2025
« Eloge de la prescription », « droit à l’oubli numérique », autant de revendications légitimes à une tranquillité gagnée avec le temps pour qui veut se faire oublier.
À l’inverse, celui qui demande réparation estimera que le temps est un allié précieux dont il ne veut rien perdre.
Chacun a des revendications légitimes, qui doivent être préservées bien que contradictoires. Un équilibre est à trouver. Comment cela se vérifie-t-il lorsqu’on est en présence de ventes successives d’un produit atteint d’un vice caché qui a été fabriqué, vendu à un grossiste, revendu à des intermédiaire puis à un utilisateur final ?
En droit, la prescription s’apprécie tant du point de vue de celui qui agit que de celui dont la garantie est recherchée. A la manière d’une balle de service au tennis, il faut vérifier que le pied du lanceur n’empiète pas la ligne de fond de court et il faut aussi vérifier que la balle arrive dans le carré de service. Si l’une ou l’autre de ces conditions n’est pas remplie, la balle est perdue.
- Celui qui « sert la balle » est celui qui agit en garantie : son pied ne doit pas dépasser la ligne de fond de court, son assignation doit être délivrée dans le délai de prescription.
Ainsi, celui qui, le premier, a acheté au fabricant un bien dont il apprend plus tard (parfois des années après) qu’il est atteint d’un vice, dispose du délai de deux ans pour agir contre son vendeur.
Cependant, la loi (article 2224 du code civil) lui octroie le bénéfice d’un délai « glissant » : il ne peut agir que s’il a connaissance du vice et c’est l’assignation qu’il reçoit de son propre acquéreur qui ouvre le délai. Son droit à agir se trouve renforcé, puisque ce n’est pas la vente parfois conclue plusieurs années auparavant qui ouvre le délai. Il obtient une protection supplémentaire.
- Celui qui « reçoit la balle de service » est le fabricant-vendeur : il recherchera si l’assignation lui est délivrée avant expiration du délai au-delà duquel il a droit à l’oubli pour essayer d’échapper à l’action en garantie.
Après beaucoup de tâtonnements, la jurisprudence est désormais fixée : le délai pour agir contre le fabricant-vendeur n’est plus de 5 ou 10 ans mais de 20 ans depuis la vente. Autrement dit, ce n’est que si l’assignation en garantie qu’il reçoit est postérieure de plus de vingt ans à la vente, qu’il pourra la considérer prescrite. Cour de cassation, Chambre mixte, 21 juillet 2023, 21-17.789, Publié au bulletin
Ainsi, le délai d’intranquillité du fabricant-vendeur d’un produit vicié est considérablement allongé, dans le souci de préserver les droits et bien souvent la trésorerie d’un vendeur initial. Ce dernier, qui n’est en rien responsable du vice, le découvre parce que l’utilisateur final subit les désordres de son produit, souvent très longtemps après la revente. Il doit toutefois penser à engager la procédure en garantie contre le fabricant moins de deux ans après avoir été mis en cause.